Jean-Louis Schiltz au sujet de la situation des médias au Luxembourg

Josée Hansen: Ministre des médias, cela doit être le rêve: on imagine que ce n 'est pas vraiment une corvée que de devoir aller au cinéma pour son métier ? Est-ce que vous appréciez le fait d'aller voir tous les films luxembourgeois qui sortent - ce que vous n'avez peut-être pas fait avant ?

Jean-Louis Schiltz: Tous les films que j'ai vus dans ma fonction jusqu'à maintenant, je les juge comme positifs. Même si je n'aurais probablement pas vu la majorité d'entre eux sans cela, parce que je n'avais tout simplement pas le temps d'aller si souvent au cinéma avant. Le film qui m'a le plus impressionné, c'est La femme de Gilles de Frédéric Fonteyne, pour son ambiance. Mais j'ai aussi apprécié Heim ins Reich, la Revanche des chômeurs ou le film sur Georges Christen en Russie: ce sont des films qui visent chacun des publics très différents, et j'estime que c'est cette diversité qui fait la richesse du cinéma luxembourgeois.

Le secteur du cinéma a acquis un certain nombre de compétences et de l'expérience avec le temps, c'est une bonne base pour continuer à le développer. D'ailleurs, pour valoriser ces compétences, nous allons organiser la deuxième édition du Lëtzebuerger Filmpräis le 15 octobre prochain.

Josée Hansen: Les médias et les télécoms: est-ce un portefeuille que vous visiez lors de la formation du gouvernement, l'année dernière ?

Jean-Louis Schiltz: On me l'a offert et je l'ai accepté sans hésiter. J'aime beaucoup le cinéma. Et puis, les télécommunications sont un secteur d'avenir, qui se situe en plein dans la stratégie de Lisbonne. Dans ce deuxième domaine surtout, ma formation de juriste constitue certainement un plus.

Josée Hansen: Les producteurs de films luxembourgeois sont inquiets, parce qu'ils craignent de perdre leur attractivité pour les tournages, alors que des pays voisins comme la Belgique, voire même la France introduisent eux aussi des systèmes de tax shelter comparables, voire même plus intéressants que celui du Luxembourg. Vous avez reçu l'Ulpa, l'Union luxembourgeoise des producteurs audiovisuels, en décembre dernier, ils vous ont exposé leurs inquiétudes. Quelle est votre réponse, la réponse politique à cette nouvelle situation ?

Jean-Louis Schiltz: La situation n'est en effet pas rosé sur tous les points, certains producteurs sont en difficultés. Nous sommes là pour soutenir le secteur, mais nous ne sommes pas producteurs nous-mêmes. L'Ulpa m'a fait par de ses doléances, et j'ai invité ses représentants à me remettre leurs propositions d'adaptation du système des certificats audiovisuels - qui, de toute façon, expirera en 2008. J'attends leur réponse d'ici peu.

Nous sommes prêts à les suivre dans une adaptation des modalités selon lesquelles les certificats seront accordés, avec toutefois deux contraintes: d'une part, nous devons respecter l'enveloppe financière globale qui est actuellement à notre disposition, elle ne sera pas revue à la hausse. Et de l'autre, nous devons respecter le cadre européen prévu. Mais à partir de là, nous pouvons chercher des solutions à la nouvelle situation.

Josée Hansen: Lors de la préparation de la Revanche des chômeurs d'Andy Bausch, on a vu s'enflammer à nouveau la vieille discussion sur la définition du "film luxembourgeois" et de ses spécificités, qui constituent souvent un handicap (marché international réduit par l'emploi de la langue luxembourgeoise, pas de chaînes de télévision coproductrices...) et demandent donc un autre soutien qu 'une coproduction internationale. Comment voyez-vous cette question: combien de protectionnisme faut-il pour les films luxembourgeois ?

Jean-Louis Schiltz: Les films luxembourgeois se situent dans le cadre de la loi, par laquelle tous les producteurs sont traités équitablement et de la même manière. Je crois que nous devons tout simplement faire des films avec des budgets qui soient adaptés à la taille du pays. Ce qui n'empêche que la créativité peut être la même que pour une coproduction.

Mais les moyens doivent peut-être se situer à un autre niveau. La Revanche s'est finalement réalisée et cela sous des conditions que j'estime tout à fait correctes. Nous ne pouvons imiter la production américaine, nous avons d'ailleurs déjà abandonné cette ambition. Pour ce qui est du protectionnisme et de "l'exception culturelle", je plaide encore une fois pour le respect du cadre européen.

Josée Hansen: Qu'en est-il des moyens financiers mis en œuvre pour le soutien du cinéma au Luxembourg? Après avoir été amputé de 500.000 euros entre 2003 et 2004, le budget du Fonds national de soutien à la production audiovisuelle (Fonspa) est repassé à 4,5 millions d'euros pour cette année. Est-ce que cette somme sera revue à la hausse - ou à la baisse - sous le nouveau ministre?

Jean-Louis Schiltz: Vu la situation budgétaire, je ne me vois guère en mesure d'augmenter l'enveloppe financière attribuée au cinéma. Mais je me suis engagé à tout faire pour défendre ce montant.

Josée Hansen: Lorsque la Chambre des députés a tiré, il y a trois ans, le bilan de la loi de 1991 sur les médias électroniques, elle a entre autres adopté une motion par laquelle elle invite le gouvernement à repenser la définition "d'émission de service public" et d'accorder à d'autres sociétés privées que RTL le droit et les moyens financiers pour la production de telles émissions. Comment est-ce que cela serait réalisable?

Jean-Louis Schiltz: Cette discussion devra être menée dans le cadre de la nouvelle loi sur les médias audiovisuels, je n'ai pas encore de position arrêtée. Ceci dit, je ne suis pas vraiment un défenseur de la sur-régulation et des longues listes de définitions et d'exceptions. Ma philosophie de base est que le code civil et d'autres textes nous ont bien servi durant les 200 dernières années, on peut les appliquer encore aujourd'hui dans beaucoup de domaines. Ce qui est sûr, c'est que je ne veux pas réformer la loi existante pour le seul plaisir de la réforme.

Josée Hansen: Votre prédécesseur, François Biltgen, avait déjà élaboré un certain nombre de d'idées de réforme très concrètes, notamment de l'autorité de régulation, l'actuelle Commission nationale des programmes, qu'il voulait réorganiser en ARI, Autorité de régulation indépendante. En préparation de cet avant-projet de loi, un certain nombre de colloques de spécialistes avaient eu lieu à Mondorf... Est-ce que ces idées sont remises en causes?

Jean-Louis Schiltz: Je dois encore me faire mon opinion dans les semaines et mois à venir. Il faut dire que les urgences de la présidence européenne ne m'ont pas encore laissé le temps de m'y pencher.

Josée Hansen: La radio socioculturelle, radio de service public, lutte actuellement pour avoir plus d'argent, son développement est limité faute de moyens pour pouvoir engager plus de personnel. Est-ce que vous avez. un plan de sauvetage pour radio 100,7?

Jean-Louis Schiltz: Bien que je sois au courant des demandes d'argent de la radio 100,7, cette question reste du ressort du ministre de la Culture, dont elle dépend. De notre côté, nous avons reçu la direction de la radio concernant la question de leur couverture, qui n'est toujours pas totale. J'ai fait identifier tout une série de fréquences FM qui étaient encore disponibles et veux les faire attribuer dans un processus ouvert et transparent aux radios existantes afin qu'elles puissent améliorer leur distribution.

Josée Hansen: Le canal ouvert .dokTV diffuse de plus en plus d'émissions politiques, dont, dernièrement, une émission entièrement consacrée à la présidence européenne, www.eu2oos.lu, produite par le Service information et presse du gouvernement. Est-ce que la chaîne serait en train de devenir peu à peu et discrètement, une télévision de service public, pour contrebalancer RTL Télé Lëtzebuerg en quelque sorte ?

Jean-Louis Schiltz: Je ne vois pas cela comme ça, mais je salue bien sûr le fait que l'offre télévisuelle se diversifie au Luxembourg. Pour ce qui est de RTL, nous avons retenu dans l'accord de coalition que nous allons commencer au plus vite les négociations pour la reconduction du contrat de concession qui lie RTL Group au Luxembourg et qui expire en 2010. Nous ne pouvons attendre jusqu'à la fin du contrat actuel, parce que la société doit savoir où elle va à long terme afin de prévoir ses investissements et nous devons éviter un vide juridique. Ce sera une de mes priorités.

Josée Hansen: A propos diversité de l'offre: quand est-ce que le Luxembourg va passer à la télévision numérique?

Jean-Louis Schiltz: Comme les ménages luxembourgeois ont eu très vite et très largement accès au câble et un tiers des ménages sont même équipés de récepteurs de satellites, la télévision numérique terrestre n'était pas vraiment une urgence ici. Ceci dit, elle permet une plus grande mobilité, une meilleure qualité de l'image et une utilisation plus rationnelle des bandes. Notre objectif est de garantir un large accès à la télévision numérique terrestre d'ici 2006 ou 2007.

Josée Hansen: Il y a un an, le parlement adoptait la nouvelle loi "sur la liberté d'expression dans la presse". Quel en est votre premier bilan ?

Jean-Louis Schiltz: Je constate avec satisfaction que la tempête autour de cette loi s'est tue dès qu'elle est entrée en vigueur et que le calme actuel est inversement proportionnel au brouhaha de protestations de toutes parts qui a accompagné sa gestation. La liberté d'expression constitue le fondement même de cette loi, ce qui est une bonne chose. Nous avons confié au Conseil de presse la mission d'élaborer un code de déontologie, qui est prévu par la loi et qui, une fois adopté, pourrait mener vers l'autorégulation de la presse. Ce qui serait une bonne chose, car la presse est un des domaines dans lesquels l'autorégulation est appropriée. J'espère donc maintenant que je recevrai assez vite les propositions du Conseil de presse.

Josée Hansen: La presse écrite traverse actuellement une phase de mutations profondes, avec l'arrivée des nouveaux titres francophones et tout récemment, le changement radical de maquette et déformât du plus grand quotidien, le Luxemburger Wort. Est-ce que ces mutations ne devraient pas être accompagnées par une réflexion politique sur son financement, surtout sur les modes d'attribution de l'aide à la presse ?

Jean-Louis Schiltz: L'accord de coalition ne prévoit pas de réforme de l'aide à la presse et je ne vois aucune raison d'y toucher actuellement, je n'ai pas connaissance d'une telle demande émanant des milieux intéressés. La presse écrite connaît actuellement une grande diversité de titres, et je vois dans ces mutations l'expression d'un grand dynamisme, ce que je ne peux que saluer. Le rôle des politiques ne peut que consister en une préservation de cette richesse. Comme elle est actuellement garantie, je ne vois aucune raison d'intervenir.

Josée Hansen: Parlons télécommunications et infrastructures: quand est-ce que le Luxembourg passera à l'heure de I'UMTS ? Et où en est le plan sectoriel des stations de base ?

Jean-Louis Schiltz: Le développement de I'UMTS ne peut se faire qu'en parallèle avec celui du contenu. Pour ce qui est des infrastructures, je viens de recevoir l'avis du Conseil d'Etat concernant le plan sectoriel des stations de base. Et je suis assez satisfait de son avis, car il dit en gros que la voie d'un plan sectoriel pour régler l'installation des antennes est la bonne, bien que certains points touchent l'autonomie communale. Nous devons nous concerter avec le ministère de l'Intérieur afin de voir cela dans le détail et d'amender le projet de règlement sur ces points précis. Je me donne jusqu'à la mi-mai pour proposer des solutions.

Josée Hansen: Le ministre délégué aux Communications et son Service des médias font partie de la task-force que le gouvernement a mise en place - avec le ministre des Finances et celui de l'Économie - pour attirer de nouvelles entreprises du domaine de l'e-commerce, à l'image d'AOL ou d'iTunes, au Luxembourg. Vous avez, entre autres accompagné Jeannot Krecké aux États-Unis fin 2004. Quel est le rôle de vos services dans cette task-force et comment voyez-vous les possibilités de développement de ce secteur ?

Jean-Louis Schiltz: Lors de notre voyage aux Etats-Unis, nous avons clairement constaté que le Luxembourg se trouve désormais sur la short-list des entreprises qui veulent s'installer en Europe, ce qui est une bonne chose. Notre grand défi est actuellement de réduire au maximum les charges administratives pour les entreprises désireuses de s'installer au Luxembourg. Prenez le domaine de la protection des données: nous devons alléger la législation et supprimer toutes les charges qui ne présentent pas vraiment une plus-value pour la vie privée. Ainsi, nous pourrions aller sur la voie d'une seule déclaration plutôt que celle, beaucoup plus lourde, d'une autorisation, qui existe actuellement. Plus concrètement, j'ai encore demandé à mes services de réaliser, avec l'aide de l'Institut luxembourgeois de régulation, une étude concernant la connexion du Luxembourg aux grandes voies de communication et nous ferons tout pour l'optimiser.

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