"Kee Kachkéiskino" Interview avec le ministre de la Culture, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, François Biltgen

woxx: Dans son budget annuel de 2004, le Fonds national de soutien à la production audiovisuelle (Fonspa) a vu son enveloppe réduite de 500.000 €. Est-ce que la situation économique difficile menace la survie de l'industrie cinématographique luxembourgeoise?

François Biltgen: Cette industrie a deux assises financières. D'abord les aides directes, qui sont des aides financières sélectives. L'année dernière les coupes budgétaires générales ont fait que la dotation n'est plus que de quatre millions, mais aucun projet n'est en danger puisqu'il s'agit d'un fonds pluriannuel. Ces aides directes ont avant tout pour vocation de soutenir des productions luxembourgeoises. L'autre assise est celle des certificats d'investissement audiovisuel (Ciav). C'est celle qui apporte le plus d'argent et qui n'a pas connu de coupe budgétaire, bien que nous ayons pris soin d'introduire certains plafonds. Des films à gros budget ne doivent pas tout dévorer.

Depuis le ler janvier 2004, la Belgique dispose également des Ciav. Cette évolution inquiète les producteurs luxembourgeois, qui craignent que certaines productions vont préférer la Belgique au Luxembourg. Mesurez-vous déjà des répercussions de cette évolution?

François Biltgen: Nous ne voulons pas entrer en compétition avec la Belgique. Notre but n'est pas de faire venir "Jenni a Menni" au Luxembourg pour tourner des films. "La femme de Gilles" est l'exemple-même d'une bonne collaboration belgo-luxembourgeoise et il faut essayer de continuer dans cette voie.

Est-ce que vous allez réagir pour rehausser l'attractivité du site Luxembourg, maintenant qu 'il n 'a plus le monopole des avantages financiers?

François Biltgen: Fin octobre, nous avons une réunion avec l'Ulpa pour notamment discuter d'une troisième assise financière, à travers des investisseurs privés. Jusqu'à aujourd'hui, les banques n'ont pas accepté de jouer le jeu. Mais l'Ulpa vient de lancer un nouveau mouvement, en demandant que la loi sur les Sicar qui vient d'être votée puisse être étendue au secteur cinématographique. Cela pourrait peut-être aussi RTL.

Qu 'en est-il de la proposition de l'Ulpa d'introduire un régime de préférence pour les productions luxembourgeoises en ce qui concerne les aides directes?

François Biltgen: Nous devons faire très attention afin de ne pas trop renforcer l'élément luxembourgeois dans le cadre des Ciav, sinon nous allons nous retrouver dans le collimateur de la Commission européenne, qui va remettre en question le système dans sa totalité. Ce que nous pouvons faire en revanche, c'est justement agrandir notre apport financier à travers les Sicar. Si le co-producteur apporte plus de fonds, il a un plus grand pouvoir de décision, aussi au niveau artistique.

Qu'en est-il du cinéma luxembourgeois à proprement parler, qui était quasiment inexistant avant les années 80? Est-ce qu 'il a un avenir ou même une raison d'être?

François Biltgen: Je le dis clairement: d'une part nous n'avons aucune intention d'installer un Hollywood en miniature sur l'Alzette. Mais d'autre part, je pense que nous ne devrions pas uniquement nous mettre à faire des films "Kachkéis-Bouneschlupp", au risque de tomber dans le provincialisme. Nous voulons plus de films luxembourgeois. Un film luxembourgeois ne doit pas nécessairement être en langue luxembourgeoise. L'histoire de "La femme de Gilles" par exemple pourrait aussi bien se dérouler au Luxembourg qu'en France ou en Belgique. Il faudrait plutôt essayer de faire des films certes luxembourgeois, mais qui pourraient également éveiller un intérêt international. Je suis d'ailleurs très curieux de voir si "La Revanche" d'Andy Bausch va réussir à s'exporter. Il est bien plus "multi-kulti" que le "Club des chômeurs", qui a été un formidable succès pour un film luxembourgeois en luxembourgeois. Ce qui nous fait défaut avant tout, ce sont de bons scénarios, qui racontent des histoires fortes et universelles.

Est-ce que l'industrie cinématographique luxembourgeoise n'est pas une construction artificielle, qui va s'écrouler lorsque l'Etat ne sera plus en mesure de la soutenir financièrement?

François Biltgen: Une chose est sûre: Sans soutien étatique, nous n'aurons pas d'industrie cinématographique luxembourgeoise. Ce qui est d'ailleurs le cas pour tous les pays européens, sans exception! Lorsque Jacques Santer a mis en œuvre la création de ce secteur, il voulait essayer de donner au Luxembourg une autre image que celle d'une tirelire. Pourtant il ne faut pas oublier qu'aujourd'hui ce secteur crée des emplois permanents pour un certain nombre de personnes, ce qui n'est pas évident dans le domaine de la culture au Luxembourg. Nous ne voulons pas essayer de viser trop haut, mais plutôt consolider nos acquis. Bien sûr, nous ne pourrons jamais produire des blockbusters, mais nous pouvons essayer d'accompagner dans son évolution un réalisateur qui mettra ensuite en scène des blockbusters dans un autre pays par exemple. L'important est de donner aux gens la possibilité de faire leurs premiers pas ici, s'ils en ont l'envie. Dans le domaine culturel, il fallait, dans le passé, s'expatrier assez rapidement pour pouvoir vivre de son travail. Un réalisateur comme Daniel Wiroth, ou avant lui Geneviève Mersch et d'autres, a fait ses preuves par des courts-métrages et nous voudrions pouvoir lui donner la possibilité de réaliser des "longs". Il est encourageant de voir qu'une société comme Samsa par exemple est en train de se constituer un réseau de gens qui aiment travailler au Luxembourg et qui continueront, je l'espère, de tourner leurs films ici, même si la donne économique change.

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